La neutralisation des procédures collectives par la police administrative des ICPE (à propos de la décision du Conseil d’Etat du 28 septembre 2016, req. n° 384315, SELARL GRAVE WALLY N)
Par la décision commentée, le Conseil d’Etat confirme l’articulation entre le droit des créances privilégiées et la police des ICPE qui avait été retenue en première instance et en appel par le juge administratif.
Les faits de l’espèce sont malheureusement assez classiques : la Société A… PRODUCTION, exploitait, jusqu’en octobre 2008, une installation classée d’élevage de volaille sous la rubrique 2111-1 et une installation classée de fabrication d’engrais sous la rubrique 2170-1.
Cette Société a fait l’objet d’une liquidation judiciaire et ni la cessation d’activité ni les propositions de réhabilitation du site n’avaient été notifiées au préfet, le liquidateur judiciaire s’étant borné à envoyer au préfet deux courriers par lesquels l’exploitant refusait de déclarer le site en cessation d’activité, affirmait avoir procédé à l’évacuation des déchets et indiquait que le site avait été totalement dépollué.
Dans ces conditions, le préfet adressa au liquidateur judiciaire un arrêté de mise en demeure daté du 20 octobre 2010 lui enjoignant :
- En application de l’article R. 512-39-1 du code de l’environnement, de lui adresser, dans un délai d’un mois, la déclaration de cessation d’activité de la Société, en précisant les mesures prises ou prévues pour assurer la mise en sécurité du site ;
- En application de l’article R. 512-39-2 du même code, de transmettre dans un délai de deux mois au maire ainsi qu’au propriétaire du terrain concerné ses propositions sur le type d’usage futur du site qu’il envisageait de considérer dans le cadre de la remise en état du site.
En application des dispositions de l’article L. 622-17 du code de commerce, les créances privilégiées impayées perdent leur rang, si elles n’ont pas été notifiées au liquidateur dans un délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation :
« IV.- Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le II du présent article si elles n’ont pas été portées à la connaissance de l’administrateur et, à défaut, du mandataire judiciaire ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l’exécution du plan ou du liquidateur, dans le délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation. Lorsque cette information porte sur une créance déclarée pour le compte du créancier en application de l’article L. 622-24, elle rend caduque cette déclaration si le juge n’a pas statué sur l’admission de la créance ».
En l’espèce, le liquidateur judiciaire soutenait sur le fondement de ces dispositions que la mise en demeure était inopposable à la liquidation judiciaire en ce qu’il s’agirait d’une obligation de payer, laquelle avait été notifiée au liquidateur plus d’un an à compter de l’ouverture de la procédure de redressement.
Le Conseil d’Etat, suivant les juridictions inférieures, rejette le pourvoi du liquidateur judiciaire.
En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle les obligations environnementales des liquidateurs judiciaires d’une installation classée, en application du code de l’environnement.
Il juge ainsi qu’en se bornant à transmettre les courriers susvisés par lequel l’exposant refusait de déclarer le site en cessation d’activité et détaillait l’état de pollution du terrain, le liquidateur judiciaire n’avait pas procédé, conformément aux dispositions de l’article R. 512-39-1 du code de l’environnement, à une déclaration de cessation d’activité précisant les mesures prises ou prévues pour assurer la mise en sécurité du site.
Certes, tous les liquidateurs judiciaires ne sont pas spécialistes du droit des installations classées et ces derniers doivent donc faire preuve de vigilance lorsque l’on peut recenser, au passif de la Société en difficulté, des obligations environnementales nées de l’exploitation passée d’une installation classée.
Toutefois, on rappellera que les mandataires judiciaires et administrateurs judiciaires ont à leur disposition, sur le site du Ministère chargé des Installations classées, un guide rappelant leurs obligations en la matière.
Bien que la dernière version soit quelque peu datée (2012), ce guide rappelle que bien que n’étant pas l’exploitant de l’installation, ni le représentant légal de la personne morale, le liquidateur judiciaire doit conduire, en lieu et place de l’exploitant, la procédure de cessation d’activité prévue au Code de l’environnement, et ce en application de l’article L. 641-9 du code de commerce qui met à sa charge un certain nombre d’obligations.
Il peut être utile pour les organes de la procédure de consulter ce guide, notamment en ce que son annexe 2.2 peut servir à préparer le dossier de cessation d’activité.
Le second et principal apport de l’arrêt réside dans l’inopposabilité du délai d’un an fixé à l’article L. 522-17 du code de commerce à l’exercice, par le préfet, de ses pouvoirs de police au titre des ICPE :
« que si les dispositions des articles L. 622-17 à L. 622-27 du code de commerce régissent les conditions dans lesquelles peuvent être produites puis payées les créances détenues sur une entreprise qui fait l’objet d’une procédure collective, elles ne font pas obstacle à ce que l’administration fasse usage de ses pouvoirs de police administrative, qui peuvent la conduire, dans les cas où la loi le prévoit, à mettre à la charge de particuliers ou d’entreprises, par voie de décision unilatérale, des sommes dues aux collectivités publiques ; qu’il s’ensuit que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’en matière de police des installations classées, la circonstance que le préfet de la Seine-Saint-Denis n’aurait pas pris l’arrêté litigieux dans le délai d’un an prévu par le IV de l’article L. 622-17 du code de commerce est sans incidence sur sa légalité ».
Ainsi, l’efficacité des dispositions du code de commerce se trouvent purement et simplement neutralisée par la prééminence des pouvoirs de police ICPE.
On retrouve ici l’application quelque peu particulière d’un vieil adage du droit administratif : l’imprescriptibilité des pouvoirs de police, qui avait été rappelé par le Conseil d’Etat dans sa célèbre décision d’Assemblée du contentieux « Société ALUSUISSE-LONZA-France » (CE, Ass., 8 juillet 2005, req. n° 247976) et précisée dans une décision restée plus confidentielle (CE, 12 avril 2013, SCI Chalet des Aulnes, req. 363282).